vendredi 10 décembre 2010

Chronique ciné 30/11/10 - "Outrage"


Dans un monde parallèle à celui des japonais contemporains, vivent les yakuza, équivalent japonais de la mafia. Ce sont des gars bien musclés, avec des tatouages plein le dos, qui ont pour valeurs les plus absolues le pouvoir et l’honneur, mais aussi vengeance et corruption quand il le faut. Le film est un règlement de compte continu entre les hommes du grand parrain qui exécute ou punit quiconque ne respectant pas les règles. Tous sont à la recherche de la bienveillance de sa part, mais semblent prêts à tout pour avoir leur part du gâteau. Les hommes envoyés pour règlement de compte ne sont pas toujours à la hauteur, alors on a parfois le droit à des confrontations entre chefs de clans eux-mêmes, confrontations qui s’avèrent de plus en plus musclées…

Je vous parle d’Outrage, le dernier film de Takeshi Kitano (son 15ème long-métrage). On a surtout découvert son talent avec Hana-bi en 1997( lion d’or à Venise). Avec ce film, Outrage, c’est le grand retour de Kitano aux films de gangsters, avec à la fois une violence bien sanglante et un humour sans pareil. Beat Takeshi comme on le nomme souvent, signait presque un autoportrait avec Achille et la tortue, un film qu’il a réalisé en 2008, et qui parle de la vie bien mystérieuse d’un artiste peintre. Parce que Kitano s’essaye aussi à la peinture. Mais pour revenir à Outrage, c’est le retour de Beat Takeshi, toujours en acteur principal de ses films. Sauf que c’est au gangster infidèle bien bizarre qu’on a à faire, et non plus au peintre bien gentil.

Je parlais de violence dans le film. Eh bien notre réalisateur nippon n’y va pas avec le dos de la cuillère ! Je vous cite Beat Takeshi qui dit lui-même : "Je filme la violence de sorte que le spectateur ressente réellement la douleur. Je n’ai jamais filmé et ne filmerai jamais la violence comme s’il s’agissait d’un vulgaire jeu vidéo." ça au moins, c’est dit ! je vous passe les détails mais le réalisateur donne une nouvelle preuve de l’imagination fertile et des idées cruelles qu’il a, en montrant des scènes de plus en plus violentes, sanglantes des fois, pires d’autres fois. En tout cas, je me suis surprise, et ça ne m’était pas tant arrivé avant, de me cacher les yeux pour ne pas être témoin d’une tuerie en plus. Sans exagérer, je pense qu’il y en a près d’une cinquantaine de personnes qui meurent dans le film, mais jamais de la même façon.

Kitano incarne ici Ôtomo, un gangster qui avait fait le pacte de la fraternité éternelle à son égal de l’autre clan, se retrouve en train de se venger contre lui. Avec son jeu un peu lourd, son visage à moitié paralysé et ses interventions pas très délicates, c’est carrément le Yakuza bizarre de Sonatine, Hana-Bi ou encore d’Aniki mon frère qu’on retrouve à l’écran. L’histoire est assez difficile à suivre vu la complexité hiérarchique des différents clans des yakusas. Mais on n’en est pas moins pris au jeu, grâce à la mise en scène rythmée de ces rapports de force et à l’humour loufoque qui se dégage de certaines séquences. Notons aussi le travail du son particulièrement réussi quant aux scènes de violence, et une musique à la fois sobre et vintage, genre thriller à l’ancienne.

Outrage, notre film de cette semaine est interdit aux moins de 12 ans. Et ça m’a étonné au vu de certaines séquences. Mais c’est vrai qu’à côté des batailles et des meurtres, il y a un humour qui atténue la violence du film, et qui donne un côté burlesque à ces situations et à ces héros qui sont tout sauf des héros. Entre la fascination pour ce monde et la révélation de son absurdité, le réalisateur déjoue les codes du film de gangsters et signe une mise en scène élégante et brutale à la fois.

Ce qui est frappant chez Takeshi Kitano, au fondement de son talent à la fois de scénariste, de réalisateur, de monteur et d’acteur, se trouve dans le fait qu’il puisse passer d’un genre à l’autre dans ses films, tout en gardant une grande cohérence artistique. A voir ce film-ci, on est bien loin de la douceur d’un été de Kikujiro, ou l’émotion d’un Hana-bi. Mais ce n’est pas avec moins d’enthousiasme que j’attends la suite de son œuvre !

Roukaya Ben Fraj