mardi 9 novembre 2010

Revue de presse 09/11/10 - J'ai mal aux médias

Ouille, aïe! Oh là là... Mais qu'est-ce que j'ai mal aux médias aujourd'hui!
Peut-être parce que le Canard enchaîné de la semaine dernière c'était la révélation de trop qui fait déborder le kiosque à journaux... Dans un article intitulé « Sarko supervise l'espionnage des journalistes », l'hebdomadaire nous apprend en effet que le chef de l'État commanditerait personnellement la surveillance rapprochée de tout journaliste se livrant à une enquête gênante pour lui ou les siens. Selon des collaborateurs anonymes de Bernard Squarcini, le patron de la Direction Centrale du Renseignement Intérieur, un groupe composé d'anciens RG, aurait même été monté spécifiquement à cet effet. Leur mission prioritaire: déterminer les informateurs des dangereux scribouillards... pour cela, nous dit le Canard, « ces braves gens se procurent les factures détaillées du poste fixe et du portable du journaliste à espionner. » Ce qui signifie également la complicité douteuse des opérateurs de téléphonie...
Certes, ces informations sont anonymes, il n'empêche qu'elles tombent à point pour souligner le climat délétère sévissant actuellement au sein de la presse française.
Après l'affaire des écoutes illégales du Monde, le mois d'octobre a ainsi été marqué par les surprenants cambriolages des bureaux et domiciles de plusieurs journalistes en charge de l'affaire Bettencourt au Monde, au Point et à Médiapart, avec notamment la disparition d'un disque dur contenant toutes les archives du site Médiapart ainsi que les deux CD-Roms de leurs enregistrements de l'ancien majordome de Liliane Bettencourt.
Et que répond Nicolas Sarkozy, interrogé le 29 octobre à Bruxelles à propos de cette triple coïncidence? « Je ne vois pas en quoi cela me concerne ».
Incroyable! Non seulement, il se fiche comme de sa première Rolex d'être le garant de la liberté d'information en France, mais en plus, il ne se donne même pas la peine de démentir sa possible implication dans ces violations du secrets des sources! Et il y en a encore qui s'offusquent que Sarkozy n'ait pas abordé la question des droits de l'homme et du prix Nobel de la paix avec le président chinois Hu Jintao? Encore heureux! Il aurait pu lui demander des conseils sur la répression des médias!
Pourtant, le 4 janvier dernier, une loi a été votée, sous l'impulsion du même Sarkozy, pour garantir au mieux la protection des sources des journalistes, sauf dans le cas d’«impératif prépondérant d’intérêt public». Or, selon Christophe Bigot, avocat et spécialiste dans le droit des médias, interrogé le 27 octobre par Libération, cette exception ne devait s'appliquer que pour les affaires de terrorisme ou quand la santé des personnes était en jeu. Remarquez, c'est vrai que ce que contiennent les ordinateurs de Médiapart, du Point et du Monde sur l'affaire Bettencourt fait l'effet d'une bombe sur la clique présidentielle... et j'espère bien que ça nuit un peu à leur santé politique!
La conséquence perverse de cet espionnage d'État, selon Christophe Bigot, c'est qu'il dissuade les informateurs des journalistes de témoigner : « sans secret des sources, pas de source. Et sans source, pas d’information. Aujourd’hui, toute personne s’adressant à un journaliste qui traite de l’affaire Bettencourt se dit que son numéro peut se retrouver dans une fadette qui atterrira sur le bureau d’un juge… On coupe le robinet à informations. »
Enfin, tout cela ne concerne que les vilains petits canards... Heureusement, qu'on a toujours les bons petits soldats du journalisme au service de l'Élysée!
C'est le Canard enchaîné encore une fois, qui s'étonne : « C'est tout de même curieux, cette manière de vouloir mal faire à tout prix chez nos patrons de l'audiovisuel public. Non seulement, depuis qu'ils sont nommés par le locataire de l'Elysée, le soupçon pèse sur la moindre de leur décision. Mais en plus, ils font exactement ce qu'il faut pour le renforcer chaque fois qu'ils en prennent une »
L'hebdo satirique revient ainsi sur le choix de Rémi Pfimlin d'un nouveau chef du service politique à France 2 en prévision des élections de 2012 et d'un nouveau directeur des programmes à France 3. Le premier, Fabien Namias, a été débauché de chez Europe1, la radio de Lagardère, le « frère » du président, tandis que le second, Pierre Sled, est un ami de Frédéric Lefebvre et une des personnes consultées par Claude Guéant au moment de choisir le remplaçant de Carolis... « Au rendez-vous des bons copains, y'avait pas souvent de lapin... »
Le Canard nous rappelle également l'éviction expresse la semaine dernière du pourtant peu subversif humoriste Gérald Dahan, licencié par le Valesque patron d'Inter deux jours après une chronique dérangeante sur Michèle Alliot-Marie et Sarkozy. Mais là, pour ma part, je suis persuadée que ce jeu des chaises musicales des humoristes à France Inter est une manœuvre du gauchiste Philippe Val pour nous faire comprendre quelque chose. Après tout, l'ancien rédac' chef de Charlie est un grand partisan des caricatures, non? Comment? Vous croyez vraiment que c'est juste parce qu'il a retourné sa veste? A moins que ce ne soit son pantalon, comme qui dirait...
Dans la série « les comiques dans les médias »... J'en ai une bonne à vous raconter... Appelez ça « bidonnage » ou « bidouillage », au choix... L'histoire remonte à début octobre. C'est l'histoire d'un mec... il se dit journaliste. Un jour, il décide de faire un reportage pour le Point sur la polygamie en banlieue. Me demandez pas comment il a choisi le sujet, je vous répondrais que c'est dans la même lignée que « à poil sous le niqab » par exemple, ou « chômeur, drogué et consanguin au coeur du bassin minier », ou encore « femme-rom-qui-fait-la-manche-avec-un-enfant-drogué-dans-les-bars-et-que-le-mari-vient-chercher-en-Mercedes ».
Bref, son article s'intitule « Un mari, trois femmes » et il est basé sur le témoignage d'une femmes en question, Bintou, décrite comme «une jeune femme au joli visage légèrement scarifié de chaque côté des yeux», parlant «un français approximatif» et dont le fils aîné est délinquant juvénile. Sauf que... le journaliste n'a jamais rencontré Bintou! Et pour cause! Bintou, en fait, c'est Abdel, un jeune gars de banlieue qui refile des tuyaux aux journalistes. Lassé de tous les clichés sur la banlieue véhiculés par les médias, Abdel s'est filmé au téléphone avec le Point, se faisant passer pour une femme africaine. Publiée sur le site d'Arrêt sur images, la vidéo démontre le manque de fiabilité d'un journalisme-poubelle pétri de ses préjugés les plus détestables!
Mais ne vous méprenez pas, si je vous raconte tout ça, ce n'est pas pour vous dégouter des médias, bien au contraire! Si je consacre cette longue chronique au sujet, c'est parce qu'il est urgent selon moi que les citoyens se réapproprient ces précieux outils de démocratie que sont les journaux! A défaut de solutions toutes prêtes, je vous invite au moins à réfléchir à ces questions déontologiques avec le seul, unique et interminable article du dernier numéro du Tigre: « Pourquoi faire un journal? »
Et puis, je profite également de la sortie d'un nouveau numéro de la Brique pour citer un embryon de réponse de nos confrères: « Un média, comme son nom l’indique, est pour nous un moyen d’énoncer et de dénoncer ce qui se passe au delà de nos cercles restreints. Y arrive t-on ? La question reste ouverte et on ne s’estimera jamais satisfait-es. Mais si on avance à tâtons, on ne lâche rien, et on persiste à vouloir faire un outil parmi d’autres pour décrypter ce que les puissants s’acharnent à dissimuler. Rendre visible pour débattre, se rencontrer, volontiers critiquer, ou, pire, témérairement polémiquer. Et pourquoi pas, un jour, un soir, une après midi ou un matin, passer ensemble à autre chose. »