jeudi 16 septembre 2010

Revue de presse 14/09/10 - chasse aux Roms

Qu'avez-vous fait ce weekend, les amis? Une petite après-midi dominicale à la chasse peut-être? Ben oui, il paraît que la saison de chasse ouvre en septembre... Du moins seulement pour les lapins, cailles, faisans et autres perdrix... Parce que la chasse aux Roms, elle, est très officiellement ouverte depuis le 5 août!
C'est au Canard social, un jeune site Internet indépendant spécialisé sur l’actualité du secteur social en Pays de la Loire qu'on doit l'information. Nouveau soubresaut jeudi dernier en effet dans le feuilleton Roms de l'été, avec la publication par le Canard social d'une circulaire du ministère de l'Intérieur adressée aux préfets, en date du 5 août, que le journal en ligne compare à un véritable « mode d'emploi pour l'expulsion des Roms »... Ce document - tout ce qu'il y a de plus officiel - enjoint ainsi - avec recommandations pratiques à la clé - à chaque préfet de zone « la réalisation minimale d’une opération importante par semaine (évacuation, démantèlement ou reconduite), concernant prioritairement les Roms. »
Au vu de cette nouvelle révélation, je me devais de profiter aujourd'hui de ma chronique pour dénoncer cette scandaleuse xénophobie d'État, quitte à vous en rebattre les oreilles comme nombre de mes confrères... Et oui, même un Patrice Gélinet, qui - dit-on - aurait milité étant jeune au mouvement d'extrême-droite Occident, a consacré ce mardi son émission « 2000 ans d'histoire » sur France Inter à l'histoire des Roms et de leur persécutions notamment par le régime nazi !
Pourquoi ressasser le sujet ? Pourquoi en effet... Tout simplement parce que, comme nous le rappelle sur Mediapart, le 11 septembre, Michel Tubiana, le président d'honneur de la Ligue des Droits de l'Homme (LDH), le Code pénal définit la discrimination comme « toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie. » Or, cette fois-ci, ce n'est plus seulement dans leurs discours, mais dans leurs écrits officiels que les soi-disant représentants de la République expriment leur racisme puant.
Et Michel Tubiana de nous alerter : « Il y a quelque chose qui va bien au-delà du scandale dans ce verbe administratif. Il y a l'angoisse de constater que d'auvergnats en maghrébins, de musulmans français forcément « accueillis » dans le pays où ils sont nés en Roms pique-assiettes de notre système social et gens du voyage forcément délinquants, se dessine le portrait d'une politique qui n'hésite pas à s'en prendre à des communautés entières sur la base de leur origine ou de leur religion. »
Ajoutez à cela l'amalgame estival « Roms = gens du voyage = délinquants » et nous voilà dans un discours gouvernemental qui fleure bon l'extrême-droite... A ce sujet, il me semble judicieux de vous conseiller la lecture d'un article du Figaro du 24 août – décidément, même le Figaro m'étonne ces temps-ci ! - qui permet d'expliciter correctement les termes. Le quotidien distingue ainsi le statut de « gens du voyage », catégorie administrative de populations françaises résidant en abri mobile, et le terme « Roms » qui désigne des étrangers migrants, ressortissants de l'Union européenne (principalement de Roumanie et de Bulgarie). Si les Roms et la plupart des gens du voyage partagent une même culture tzigane (appelée aussi gitane ou manouche selon les régions), ils ne partagent pas la même histoire, encore moins la même nationalité.
« Ça fait six cents ans que nous vivons en France et nous sommes sédentaires depuis disons trois cents ans. Les premiers gitans recensés sont arrivés au XVe siècle, en majorité d'Espagne. » explique à Mediapart (3 septembre) Jean-Paul Caragol, président du collectif des gitans de Perpignan. Le collectif, formé début août, entend affirmer, malgré les amalgames, sa solidarité envers les Roms de Roumanie. Jean Gimenez, un autre membre du collectif, détaille ainsi : « En entendant l'annonce, le 28 juillet, par le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, de nouvelles mesures répressives concernant les gens du voyage et les Roms, nous avons tout de suite pensé à l'époque de nos parents et grands-parents, à l'époque des Allemands qui mettaient les femmes et les enfants d'un côté et les hommes de l'autre. Tout ça nous a choqués. Aujourd'hui mes parents et grands-parents sont décédés. On n'a pas d'écrits, c'est une culture orale. Ils nous racontaient des histoires autour du feu mais ce n'étaient pas des histoires, c'était la réalité: la souffrance qu'ils ont vécue, comment ils allaient se cacher dans les villages, les montagnes, ils parlaient de Vichy... Alors quand j'ai vu à la télévision ces images de campements évacués, ça m'a fait mal. J'ai travaillé pendant quarante ans à la mairie de Perpignan. Nous sommes français depuis des générations, mais nous avons connu ça aussi. »
A lire aussi, un article de Rue89, en partenariat avec LyonCapitale, publié le 26 juillet sur leurs sites respectifs : « Clichés, idées reçues : qui sont vraiment les Roms? » Martin Olivera, ethnologue spécialisé dans la communauté tzigane, y dissèque une dizaine de préjugés classiques : les Roms sont structurellement nomades, ils droguent leurs enfants pour faire la manche, etc. Selon le chercheur en effet, c'est surtout l'expulsion des squats et des bidonvilles en France qui contraint les Roms à la mobilité, alors qu'ils étaient sédentaires en Roumanie. Quant à la manche, pour bien des familles sans qualification, sans droit au travail, elle est la seule ressource possible et les enfants y sont associés comme ils étaient associés aux travaux paysans en Roumanie. « Quant aux bébés dans les bras, ils ne sont pas là pour apitoyer mais parce que les mères n'ont pas de solution pour les faire garder : où ? Par qui ? »
Je conclurai sur la question des expulsions avec l'analyse de Malik Salemkour, vice-président de la LDH, dans le Politis du 26 août. En effet, alors qu'Éric Besson clame à l'envi que le droit à la libre-circulation en Europe n'est pas « inconditionnel », Malik Salemkour rétorque qu'individuellement des expulsions sont possibles, notamment en cas de « trouble à l'ordre public », mais que dans le contexte actuel, « il n'y a pas de cas par cas » : « On estime a priori que les Roms sont pauvres, qu'ils sont une charge déraisonnable, vivent en bidonville. On les vire donc collectivement. » Pour le vice-président de la LDH, il s'agit donc « d'expéditions punitives »...
Ah... La tradition de la chasse... Vive le sport !

ZB